Avis à la population : cet article est un peu long car le sujet est d’importance. Pour les impatients, vous trouverez les diaporamas et la présentation des 5 livres en fin d’article.
Lorsque j’enseignais en 6e, j’étais effarée par la différence de niveau des élèves en lecture (et en orthographe). Voulant percer ce mystère, j’ai mené mon enquête. Enquête rondement menée puisque la corrélation entre le niveau de chaque élève et la méthode de lecture employée en CP était limpide. Au collège, les élèves d’une même classe proviennent souvent de 4 à 5 primaires différentes, ce qui nous fait un beau panel allant de l’élève bon lecteur à l’élève illettré. Les gouvernements successifs auraient gagné du temps et de l’argent en posant la question aux enseignants, mais apparemment ils ne sont pas des ‘experts’.
Cet article est destiné aussi bien aux parents qu’aux professeurs des écoles enseignants en cp (et en grande section de maternelle) qui ont à coeur de fournir aux enfants un vrai bagage pour la vie.
Quelles sont les consignes du nouveau gouvernement en matière de méthode de lecture ?
Cette dernière décennie, la mode était à la méthode combinatoire (en fait il s’agissait de remettre de la syllabique mais ce nouveau nom ménageait la susceptibilité des décideurs passés). Il semblerait que les méthodes fassent de la politique. Si si : la syllabique est de droite et la globale de gauche ! Et l’intérêt des enfants, il est de quel bord ?
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a osé être clair en prononçant le mot tabou « syllabique » (appelons un chat, un chat), mais comme il faut faire novateur, il a dû préciser que le décodage devait être associé au sens.
Rappelons (juste pour rire jaune) que les défenseurs de la méthode globale (une rumeur affirme qu’il en reste quelques spécimens cachés au fond des bois) ont répété sur tous les tons que la méthode syllabique retardait la compréhension ! Bon, Jean-Michel, il sait bien que les parents qui ont appris avec la méthode syllabique comprenaient parfaitement les mots qu’ils lisaient en CP. Mais, une fois encore, il faut bien laisser une porte de sortie aux progressistes (qui ont d’ailleurs réussi car ils ont bien fait progresser la dyslexie). Donc, la bonne nouvelle, c’est que l’apprentissage de la lecture continue d’avancer dans le bon sens (celui du bon sens, justement).
Que se passe-t-il dans les classes de CP ?
Si vous demandez à un professeur des écoles quelle méthode il utilise, quelques audacieux répondront « la syllabique ». puisque le mot n’est plus tabou. Mais dans la très grande majorité des cas, l’enseignant répondra «Une méthode mixte, comme tous les enseignants.». Ce qui pourrait vous faire penser, à tort, que tous les élèves sont logés à la même enseigne. Que nenni !
Que se cache-t-il derrière une méthode mixte (encore très présente au sein des classes de CP)?
Révisons un peu notre vocabulaire avant de poursuivre :
–Méthode syllabique : (B et A = BA) qui part de la lettre pour aller vers la syllabe puis le mot.
–Méthode globale : chaque mot est ‘photographié’ dans son ensemble et mémorisé.
–Méthode combinatoire : même chose que syllabique.
–Méthode mixte : Comme son nom l’indique, c’est un mélange (de globale et de syllabique).
Chaque enseignant fait sa petite cuisine. Et si certains ont le niveau Top chef, pour d’autres ce serait plutôt « Chéri(e), c’est moi le chef !». Eh oui ! il faut ménager les très nombreux éditeurs de livres scolaires. Du coup, depuis 50 ans, les consignes ont été assez floues (un brouillard à perdre ses élèves) pour assurer la bonne marche commerciale. Pour exemple, citons Anne-Marie Gaignard, qui a mis au point une méthode efficace pour apprendre l’orthographe (tiens, une idée d’article sur l’accord du participe passé, et hop, le voilà!). Lorsqu’elle l’avait présentée, en son temps, au ministère de l’Éducation nationale, on lui avait rétorqué « Votre méthode est vraiment bien, mais on ne peut pas privilégier une méthode plutôt qu’une autre.» Résultat : les enseignants n’en ont jamais entendu parler. En France, il y a autant de méthodes mixtes que de fromages. Une méthode mixte peut être une méthode syllabique saupoudrée de globale (avec quelques ‘mots outils’ à apprendre par cœur), elle peut être aussi une méthode globale (l’enfant apprend par cœur des phrases dès le début du CP) agrémentée d’une pincée de syllabique (les syllabes sont vues au compte-gouttes). Entre les 2, il y a tout l’éventail des nombreuses recettes possibles. Et pour l’enfant, le plat est parfois amer.
Mais maintenant, tout est rentré dans l’ordre, non ?
Lorsqu’un enseignant a appris, il y a 20 ans, que photographier des mots améliorait la compréhension, son logiciel a (parfois) du mal à s’adapter. L’an passé, une enseignante de CP m’a dit « Ça fait plaisir aux élèves de lire dès le début de l’année. Et la syllabique, c’est rébarbatif.» Comment bien enseigner ce que l’on aime pas ?! Ah oui, petit détail : elle n’aimait pas non plus… lire ! En fin de compte, choisir une méthode de lecture revient à choisir un mode d’éducation générale. Laisser s’installer les mauvaises habitudes pour « faire plaisir » sans se soucier des conséquences futures, ou bien, voir à long terme et expliquer les bonnes règles dès le départ. Cette enseignante représente une petite minorité (du moins nous l’espérons). Mais pour ses élèves, l’effet négatif est majeur et aura des conséquences sur toute une vie si les parents ne compensent pas !
Pourquoi est-ce si important de bien lire dès le CP ?
Encore une fois, travailler avec des centaines d’élèves de 6e m’a prouvé une chose : un élève ayant du mal à lire est rebuté par le français mais aussi par les autres matières. Ce qui est logique puisque toute lecture est vécue comme rébarbative et, souvent, l’élève fait semblant de comprendre et se lance dans une réponse hors sujet (criblée de fautes d’orthographe). Ainsi, dès le CE1, l’écart se creuse à grande vitesse dans toutes les matières entre les bons lecteurs et les autres.
Conclusion : il est important de savoir TOUT lire dès le CP et d’y prendre plaisir. Pour le plaisir, l’apprentissage se fait dès les premières années, ne serait-ce qu’en observant un parent lire en souriant. Mais ce sera le sujet d’un autre article. Donc, ne vous laissez pas embobiner par des « Ne vous inquiétez pas, il a jusqu’au CE2 pour apprendre à lire ».
Niveau des élèves et méthode de lecture.
Lecture au CP : un effet-manuel considérable. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Jérôme Deauvieau, qui a enquêté dans les classes de CP. Un rapport d’enquête peut sembler austère comme lecture du soir mais, pour les plus téméraires d’entre vous, les 42 pages sont visibles en cliquant ICI. Si vous avez appris à lire avec la bonne méthode vous comprendrez tout, promis. Je plaisante car ce rapport est très clair. Pour ceux qui ont un bœuf-carottes sur le feu (ou du pain sur la planche), je résume : plus la part de syllabique est importante dans une méthode et plus l’enfant lit tôt, bien, et comprend ce qu’il lit. Cette étude cloue donc définitivement le bec à l’argument fallacieux « la syllabique ne fait pas sens ».
Cette étude fait un classement des méthodes étudiées et c’est la méthode syllabique pure qui arrive en tête.
Petit aparté : l’article étant long, vous pouvez le recevoir dans votre boîte mail pour le retrouver facilement.
Les 5 méthodes présentées ici sont toutes des méthodes syllabiques. Elles peuvent être accompagnées de leur cahier d’écriture. Les diaporamas présentent quelques pages pour chaque livre.
Étudions ces 5 méthodes avec… méthode.
Les 3 premiers livres sont des classiques du genre :
La méthode Boscher, La journée des tout petits
(livret unique, édition Belin) 72 pages – 7,95 €
Eh oui, les parents (qui ont appris à lire avec ce livret sans aucun souci) reprennent ce qui fonctionne. Un peu vieillot pour certains, les histoires gardent le charme d’antan (et les enfants aiment bien savoir comment c’était avant). Chaque page présente la lettre, les syllabes, et les mots, mais également les chiffres et les premiers calculs. La présentation est dense. Votre enfant adhèrera ou pas. C’est donc un bon condensé qui permet de s’y référer facilement. Deux remarques : les soustractions sont présentées sans explication (l’enfant apprendra donc « 5-2 = 3 » et non pas « pour aller de 2 à 5, je dois rajouter 3 ». Et les sons ne sont pas détaillés. Petit rappel : en classe, votre enfant apprend à prononcer les lettres selon le son et non selon leur nom. Par exemple, F ne se prononce pas ÈF mais ff (comme en soufflant).
Lire avec Léo et Léa (Belin) -143 pages – 12,30 €
Ce livre est apprécié par les enseignants utilisant une méthode syllabique. Ceci pour plusieurs raisons : il est présenté sous forme de leçons numérotées, la collection comprend de nombreux livres de petites histoires et plusieurs cahiers d’exercices. Très classique, efficace lorsque les sons et le travail sur les lettres ont été bien vus en maternelle. Il est plus adapté pour la classe que pour la maison dans le sens où il ne reprend pas les bases.
Ma méthode de lecture syllabique
(collection « Pas à pas », Hatier)
7,5 € – 76 pages (mais en fait 64 pages de méthode, le restant étant des histoires à lire). Le petit plus : les liaisons sont indiquées. Davantage pour une révision rapide que pour découvrir la lecture.
Les 2 suivants ont la particularité de débuter par un travail sur les sons (au cas où cela n’aurait pas été fait en maternelle ou pose problème à l’enfant).
J’apprends à lire avec Sami et Julie
(Hachette) – 96 pages- 7,5 €
Cette méthode est très appréciée par les professeurs des écoles.
En maternelle, la collection Les histoires de p’tit Sami familiarise l’enfant avec les personnages qu’il retrouve avec plaisir dans le livre de lecture de cp et dans les histoires de la collection J’apprends à lire avec Sami et Julie.
Dans le livre de lecture, la présentation est claire et adaptée pour les élèves dyslexiques.
Pour chaque son, la position de la bouche est présentée (exemples présentés dans le diaporama ci-après) .
L’accent est mis sur les sons et les lettres à ne pas confondre :
– Des pages « Ne confonds pas » pour bien différencier des sons proches (p-t-c), (f-s-ch), etc.
– Des pages pour ne pas confondre les lettres (par exemple b et d avec des mots contenant ces 2 lettres avec des couleurs différentes).
En résumé : Un vrai travail sur les sons et les confusions possibles. Pas de chichi. Au passage, je vous mets le lien vers l’article Une astuce rapide pour ne plus confondre B et D.
Que faire si mon enfant ne sait pas lire 3 mois après la rentrée au cp ?
Un élève doit savoir lire à la fin du premier trimestre du cp (donc vers Noël). Si ce n’est pas le cas, voici une petite astuce à tester : lui offrir un de ces deux titres un peu avant les vacances de Noël. S’il éprouve de grandes difficultés de lecture, optez pour Vive Noël (il n’y a pas de sons complexes). Ainsi il s’attachera aux personnages et vous pourrez l’accompagner ensuite avec la méthode de lecture.
S’il s’agit plutôt d’un manque d’intérêt pour la lecture, Sami et Julie attendent Noël sera mieux adapté.
Petit bémol dans la collection J’apprends avec Sami et Julie : le jeu de lecture. Sous forme de cartes, il est totalement inefficace à cause d’un détail : chaque syllabe proposée est accompagnée du dessin correspondant au mot à former. L’enfant se contente alors de regrouper les cartes « syllabe » présentant le même dessin ! Si vous cherchez un jeu pour apprendre à lire en s’amusant, il vaut mieux se tourner vers la mallette présentée quelques lignes plus loin.
Un nouveau livre perce son trou depuis quelques années, dans la marée des méthodes (oui, on ne peut pas percer un trou dans une marée, ce serait comme Sisyphe…).
La méthode de lecture de Patricia Roman
(Hachette éducation) 176 pages-8,90€
Cette méthode débute par le travail des sons avant de passer aux syllabes. Les lettres sont grandes, ce qui permet à l’enfant de travailler le mouvement de la main en passant son doigt dessus (il faut bien surveiller que l’enfant parte du bon endroit et trace la lettre dans le bon sens). Ce travail convient bien aux enfants de grande section de maternelle. J’avoue que cette méthode me séduit particulièrement car elle est claire et complète. La preuve en images sur le diaporama suivant. La collection de l’orthophoniste Patricia Roman comprend un Cahier de lecture et d’écriture mais également une mallette 6 jeux pour apprendre à lire -10,90€ (dominos et cartes pour identifier des syllabes, construire des mots…).
Quelle méthode syllabique choisir ?
Ces cinq livres sont de bons livres. La différence se fera sur les difficultés de l’enfant pour reconnaître les sons (dans ce cas, la méthode J’apprends à lire avec Sami et Julie permet de reprendre les bases de maternelle. Pour les enfants confondant de nombreuses lettres, il est très bien aussi, ainsi que La méthode de lecture de Patricia Roman que l’on peut associer aux jeux de la collection, ce qui maintient l’intérêt de l’enfant.
Quel que soit le livre choisi, pensez à associer cette lecture à l’écriture. Chaque livre possède son cahier d’écriture, mais l’enfant peut très bien recopier sur un simple cahier à carreaux, des syllabes et des mots du livre. Il pourra ensuite s’amuser à découper et coller des images identiques à celles du livre pour les légender tout seul.
Le plaisir de la lecture.
Le meilleur moteur en toutes choses étant le plaisir, lisez-lui des histoires… encore et encore… Bon, j’arrête ici parce que, même à mon âge, mon cerveau réclame son histoire du soir. Ah ! la lecture ! Un voyage dans le temps et l’espace, des émotions, une ouverture sur l’âme d’un autre…
Que vous soyez parent ou enseignant(e), mon souhait est de vous aider à fournir un bagage solide aux jeunes enfants pour un voyage plus serein sur le chemin des apprentissages. Tellement de choses se jouent dès la maternelle… Cet article vous a-t-il aidé(e)? À votre tour, aidez vos amis ou collègues en le partageant 🙂
Pour recevoir les articles (rares mais complets) 😉 ou/et des jeux :
À bientôt,
Delphine
Pour votre tableau Pinterest :
Et pour la route, voici quelques astuces pour les enfants qui confondent les lettres, et un livre pour ceux qui abordent les sons complexes.
Astuces GRAMMAIRE – ORTHOGRAPHE
Merci beaucoup Delphine de votre réponse!
Non c’est bien moi qui ai écrit, paradoxalement je suis douée en orthographe et ai envie de lire plein de livre car énormément de sujets m’interessent, mais mon apprentissage me fait défaut car cela me demande un gros effort visuel, je lis plus lentement que la moyenne des gens et me fatigue vite à lire…
Je parlais d’orthophonie car il me semble qu’il existe des moyens de ré-éduquer les gens à la méthode syllabique (mais les adultes je ne sais pas).
Mais je vais consulter le site Alphalire qui pourra sûrement m’aider, ainsi que le livre d’Anne Marie Gaignard!
Encore merci pour vos précieux conseils!
Bien à vous
Laureline
Bonjour;
j’ai une fille de 4 ans qui s’intéresse beaucoup à l’alphabet, à la lecture, je commence à regarder les méthodes d’apprentissage auxquelles je pourrais l’initier (votre article est d’ailleurs excellent! Merci!), cependant j’ai moi même appris avec la méthode globale et cela ne m’a absolument pas convenu, cela m’a toujours énormément handicapée (pas d’intérêt pour la lecture, mauvaise lecture d’énoncés en tous genres,… je rêve de pouvoir dévorer un livre dont le sujet m’intéresse mais en suis réduite à écouter des livres audio). Alors je me demandais si vous connaîtriez une méthode d’apprentissage (ou ré-apprentissage) pour un adulte qui aurait mal appris?
Ou peut être dois-je me tourner vers un orthophoniste…?
Merci pour vos conseils 🙂
Laureline
Bonjour Laureline,
Il me semble que les méthodes d’apprentissage FLE (Français Langue Etrangère) dispensées aux adultes arrivant en France pourraient vous être utiles. En vous basant sur la lecture bien sûr, comme par exemple le site Alphalire (quelques exercices gratuits). Je ne connais pas spécialement, mais c’est une piste.
Vous parlez d’orthophoniste. J’en déduis qu’une autre personne a écrit votre commentaire (aucune erreur orthographique) ?? Si c’est le cas et que vous confondez les lettres, oui, une orthophoniste peut vous aider. Voyez aussi les livres d’Anne-Marie Gaignard, comme Coaching orthographique
Si, au contraire, c’est le goût de la lecture qui vous fait le plus défaut, voici 2 pistes à explorer :
– La bibliothèque municipale où vous choisirez avec votre fille des livres enfants que vous lui lirez le soir.
-Pour vos propres lectures, commencez par des livres simples, ludiques et abordant un sujet qui vous passionne. Vous allez me dire que le problème est justement que vous ne connaissez pas assez les livres pour trouver ces perles 😉 Si vous me listez vos centres d’intérêts, je pourrais peut-être vous guider. Par exemple, pour les amoureux des chats, le petit livre « Conversations avec mon chat » de David Fisher, est excellent.
En espérant vous avoir un peu aidée,
Delphine
Bonjour,
Mon fils ainé a appris à lire avec la méthode globale voir mixte et ce fut très laborieux. J’ai acheté la méthode Boscher pour rattraper les dégâts.
C’est une méthode très simple et logique.
La maîtresse de mon deuxième fils applique une méthode syllabique et dès les vacances de noël en CP il savait lire.
Merci pour vos articles toujours très pertinents.
Cléa
Merci Cléa,
La méthode Boscher est la plus ancienne et la plus répandue chez les libraires. Elle est très bien si l’enfant n’a pas de difficultés spécifiques. Elle a sauvé un certain nombre d’enfants. Aujourd’hui, J’apprends à lire avec Sami et Julie est également une méthode très plébiscitée par les parents (à juste titre). À bientôt pour un article sur l’accord du participe passé…